Maudits soient les artistes by Maurice Gouiran

Maudits soient les artistes by Maurice Gouiran

Auteur:Maurice Gouiran
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Jigal
Publié: 2016-03-20T16:00:00+00:00


Jeudi 16 avril

Chaque fois que j’ouvre mon vieux carnet à la couverture de cuir patiné, la nostalgie m’étreint. Je vois ma vie défiler au gré des lignes de ce répertoire. Une existence humaine n’est peut-être qu’une longue litanie de noms et de numéros de téléphone. Ceux de ma famille, ceux de mes amantes, ceux de mes amis. Chacun de ces noms porte en lui des moments intenses de joie, de drame aussi, parfois même de trahison.

Des lignes, trop nombreuses, étaient barrées. Cela signifiait que plus personne ne répondrait à ces numéros. Plus j’avançais en âge, plus je m’apercevais que mon monde était constitué de plus de morts que de vivants, et ça accentuait ma mélancolie.

Je n’avais des souvenirs somme toute qu’assez banals avec Hans Sturm, Alfred Schmidt et Bernhard Klodt. Au mieux, quelques cuites au schnaps ou à la vodka à l’autre bout du monde. Cela me parut pourtant d’une légitimité suffisante pour les déranger. Ces trois-là devaient avoir dix ou douze ans de moins que moi et être toujours en activité. Je les avais sélectionnés en fonction de leur âge justement, mais aussi des journaux dans lesquels ils écrivaient.

Hans bossait au Süddeutsche Zeitung, alias SZ, un des principaux quotidiens d’outre-Rhin basé à Munich, la ville de Cornelius. Alfred était un correspondant de Der Spiegel, le grand magazine d’enquête et d’investigations, tandis que Bernhard collaborait au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Des trois, c’est évidemment Hans qui m’intéressait le plus. Le SZ devait posséder une tripotée de correspondants locaux à Munich. Il était le plus proche, géographiquement, de l’appartement de Cornelius. Alfred et Bernhard avaient rédigé, pour leur part, pas mal d’articles bien documentés sur le rapport du nazisme à l’art.

L’analyse de mes feuillets m’avait amené à la conclusion que la vie de Cornelius Gurlitt s’avérait certainement moins déterminante que celle de son père Hildebrand pour comprendre les choses.

J’ai donc appelé Hans. Il se trouvait au boulot, dans la salle de rédaction, et fut apparemment heureux de mon coup de fil après tant d’années sans nouvelles. En fait, nous n’avions partagé jadis que des bons moments. Nous avons échangé quelques phrases sur nos vies privées respectives. Il m’a promis de passer à la Varune lorsqu’il descendrait à Marseille. Il tenait absolument à voir mon troupeau de chèvres. Il trouvait ça marrant.

Il me révéla qu’il terminait un article sur le musée consacré au nazisme qui venait tout juste d’ouvrir à Munich. Pour l’occasion, les vétérans américains et les survivants de l’Holocauste s’étaient joints aux personnalités politiques pour assister à l’inauguration de ce cube blanc aux fines ouvertures vitrées, érigé sur le lieu où naquit le pouvoir hitlérien.

Tout un symbole.

Hans évoquait le Troisième Reich, ça tombait bien… Je l’ai interrogé sur Cornelius et Hildebrand. Comme je le pressentais, il me confirma que c’était bien le rôle du père qui était primordial. Hildebrand avait eu pas mal d’ennuis à cause de son métissage juif, cela lui avait coûté la direction des musées de Zwickau et Hambourg, mais le bougre avait toujours su rebondir.

— La loi du 3 mai 1938 imposa la confiscation des œuvres d’art dégénérées.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.